samedi 31 octobre 2009

Ula

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Ula, c’est un phénomène.
Son énorme amas de chiffons multicolores avec un parapluie bleu coquin de « Nestlé »
piqué au sommet, attire les regards curieux des passants et des touristes.
Ula ne parle pas français.
Ula est petite et fragile et peut avoir 70 ans.
Elle connaît les rues d’Espagne, d’Irlande, d’Italie … Maintenant elle se sent fatiguée.
Elle regarde pensivement la mer à quelques dizaines de mètres de « chez elle » et murmure :
Je ne bouge plus. Je reste ici. Je suis bien ici. Les gens ici sont bien.
De quoi a-t-elle besoin ?
D’une bouteille de coca-cola avec un soleil sur l’étiquette ! – s’exclame-t-elle avec une flamme dans les yeux. Elle en raffole !
Ula est déroutante.
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mardi 27 octobre 2009

Depuis un an ...

Comment vas tu ?
Je vois Hawa rayonnante.
Doucement, distinctement mais avec une joie qui s’affiche sur son jeune visage Hawa prononce - Très bien !
Hawa apprend farouchement la langue française.
Je dors jusqu’au matin ! Pour la première fois depuis que je suis en France ! - ajoute-t-elle en faisant toujours attention à la prononciation.
Son sourire est ravi.
Pour la première fois …
Elle n’aime pas parler de comment ni pourquoi elle a quitté l'Ethiopie … Elle dormait partout. Dans les centres d’accueil, dans la rue…
Depuis quelques jours elle habite finalement seule dans une chambre de notre maison.
Hawa est en France depuis un an …

lundi 19 octobre 2009

Homeless.

Ils attendent avec patience, disciplinés. Peut-être c’est vrai ce qu’ils disent tous – qu’ils ont déserté l’armée. Dans leurs démarches en fait, il y quelque chose qui relève de recrues.
Bien sûr qu’ils ont faim. Depuis de longues semaines, ils squattent les jardins suspendus en plein centre-ville. C’est la « jungle » niçoise des Erythréens, Ethiopiens … tous demandeurs d’asile.
Ils viennent par dizaines se restaurer au Fourneau Economique.

Barak sort de la salle à manger. Il veut se frayer un chemin à travers ses compatriotes qui attendent toujours leur tour. Avec une courtoisie exagérée, en français comiquement prononcé il vocifère : Pardon, messieurs ! S’il vous plait ! Il provoque une explosion de rires.
Un de ses copains, toujours sur le même ton théâtral et moqueur, lui lance :
Hay, HOMELESS, I don’t know you ! Un nouvel éclat de rire.
Depuis qu’ils ont fait la « une » dans Nice Matin ils ont enrichi leur vocabulaire franco-anglais et ils ont découvert une réalité européenne qui leur était inconnue dans leur pays.
Un sans abri – homeless.

jeudi 23 juillet 2009

Sur la môle du port de Nice.

Isham est Erythréen.
Il dort ensemble avec ses camarades dissimulés dans les masses de la môle du port. Ils sont nombreux.
Ils sont connus par la police. Mais, ils sont "gentils avec nous".
Ils nous demandent seulement de quitter les lieux le matin, à l’arrivée des touristes. Le soir nous pouvons retourner dans nos rochers.

Il est à Nice depuis un an. Depuis un an, en attendant toujours la réponse des services d’immigration.
En hiver c’était dur – avoue-t-il. Le froid. Isham affiche un sourire constant. Seulement quand il se souvient de l’hiver son visage s’assombrit.

La nuit, il se mêle aux blocs de béton.
Le jour, il se mêle aux touristes.
Presque invisible.

dimanche 12 juillet 2009

Temps de se caser.

Nous nous sommes donnés rendez vous un samedi matin. A 6h du matin (!) dans une rue attenante à l’hôpital St Roch.
La voiture de Marius coincée entre deux autres garées au bord de la route, je ne peux que m’arrêter « en double fil » bloquant totalement le passage à sens unique.
Nous ouvrons les capots de nos voitures. Marius tire les fils de la batterie de sa voiture et les branche à la mienne.
Mais soudainement une ambulance apparaît derrière et je suis obligé de partir. Je reviens et nous recommençons l’opération. Marius devient nerveux, de loin on entend une autre voiture s’approcher. Nous allumons les feux de détresse et continuons le travail. Marius réessaye plusieurs fois. Sa voiture ne démarre pas. Les chauffeurs de quelques voitures qui attendent bloqués s’impatientent. Des klaxons deviennent de plus en plus insistants.
Marius me jette un regard résigné – On abandonne!
Nous rangeons le matériel, nous nous serrons les mains.
Merci – me dit-il. Après tout, c’est le temps de me caser. Je ne bouge plus, je reste ici, je me sédentarise ! Et il rit déjà. Je pars. Marius reste dans sa Volkswagen rouillée où il habite depuis 5 ans.

samedi 4 juillet 2009

Viens chez moi, ma femme m’a largué...

Depuis une heure Sadik me raconte son désastre. Et je ne sais que lui dire.
Il a 30 ans et il chiale comme un gosse. Si tu pouvais la voir… une déesse ! – me dit-il. Mariage avec Inna, leur appartement à eux, son travail et tout dernièrement un enfant – c’était comme un rêve parfait. Rien ne semblait pouvoir briser ce rêve jusqu’à un matin où Inna tout simplement a disparu avec leur fils. Quelques jours plus tard il a reçu une lettre et une requête de divorce. Le monde de Sadik s’est écroulé.
Il me remercie de l’avoir écouté et moi je dissimule mal la gêne de ne pas savoir quoi lui dire.

Nous sortons tous les deux dans la rue et nous tombons sur un jeune qui nous lance un Salam Maleikum !

Il s’appelle Kamal et nous fait vite comprendre qu’il ne parle qu'arabe. Sadik spontanément se propose de faire l'interprète. Nous nous remettons tous les trois à table.

Kamal a l’air serein, voir même rayonnant. Il vient du Darfour. Il nous raconte son périple de plusieurs années ! La fuite du village en feu, sa famille et ses camarades massacrés, les semaines d’errance, de marche dans le désert. Des mois de travail en Libye pour gagner de l’argent et payer les passeurs, les braquages, les humiliations, les mois d’attente, puis une barque de fortune et la plage de Sicile dans la nuit …

Sadik et moi, nous écoutons médusés, conscients que ce jeune Soudanais ne pourra jamais nous raconter toute la souffrance, l'angoisse qu’il a du subir.
Au fur et à mesure que Kamal raconte les étapes de son chemin qui l’a emmené à Nice, je vois comment le visage de Sadik change. Ce visage endolori qu’il porte depuis que sa femme l’a planté peut-être pour la première fois change et devient grave.

Kamal a faim. Il voudrait aussi se laver, changer de vêtements. Il n’a évidemment pas d'endroit où aller dormir. Il ne comprend pas l’utilité d’un chèque service et ne sait pas lire la carte d’une ville… Tout cela lui semble trop compliqué, étrange … complètement pommé. C’est son premier contact avec une ville européenne !

Ma femme m’a largué, j’ai assez de place chez moi, je le prends chez moi ! – s’exclame soudainement Sadik. On va s’acheter du riz ! Tu manges du riz !? – il s’adresse à Kamal qui a toujours l'air de quelqu’un qui comprend peu ce qui se passe autour de lui.

Et j’ai l’impression de voir Sadik pour la première fois. Dynamique, déterminé, enthousiaste presque !

C’est beau de voir comment Kamal a relevé Sadik.

dimanche 28 juin 2009

Naser

Naser est l’étudiant à l’Ecole Supérieure de Réalisation Audiovisuelle.
La cinématographie est sa passion de toujours. Il est né à quelques pas du cinéma à Dakar.
La bourse qu’il a obtenue il y a deux ans était la réalisation de son rêve le plus fou.

Les cours, les ciné-clubs remplissent ses journées.
Il vient souvent dans des centres d’accueil de jour pour les jeunes. Il branche son ordi portable et collé à l’écran il passe des heures en réalisant des scénarios ciné pour ses études et des concours. Il en a gagné déjà quelques-uns qui lui ont valu sa bourse d’étude.

Le soir il regagne un petit parc au centre ville, s’allonge sur un banc, s’attache lui-même et son p.c. avec une ceinture au banc et il s’endort.

C’est tout ce qu’il a.

dimanche 21 juin 2009

Noufel.

Noufel est d’origine marocaine. Jeune, gai, il a du punch.

Il est de ceux qui à peine arrivé dans un endroit, paraissent connaître tout le monde.
Il sait rire et il sait rire de lui-même et il fait rire tout le monde autour de lui.

Pendant qu’il attend son linge à la laverie, il me raconte ses rêves avec enthousiasme
et conviction. C’est rien que aujourd’hui c’est le squat et le job au noir, demain c’est un CDI et une jolie femme dans leur appart à eux !
Il me serre la main, il me lance un joyeux : Ciao ! à la prossima ! Et il sort tout droit dans les bras des policiers qui l’attendent à notre insu dehors et qui l'embarquent dans la voiture.

Noufel n’a pas de titre de séjour en France.

dimanche 14 juin 2009

Rieur.

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Christophe fait partie d’une bande de copains qui campent sous les balcons de la gare routière, depuis des mois enfermés dans un cercle infernal de beuveries.

C’est sont des instants rares de lucidité qui éveillent en lui des sentiments de regrets et un besoin impérieux de manger. Il est le plus jeune, à peine 18 ans.
Avec un prêtre du quartier je leur porte la bouffe et quelques fois je file à Christophe des bons pour manger au Fourneau Economique dans le vieux Nice.
Les autres camarades ne se déplacent plus.
Christophe est toujours de bonne humeur, il jase, blague et rit à n’en plus finir.

Un jour il m’annonce que la bande de copains a décidé de quitter les lieux pour aller en Italie.
Le jour même il se pointe au Fourneau Economique, l’air pressé et avec un sourire malicieux me dit : Nous partons. J’ai trouvé quelque chose pour toi. Je l’ai trouvé. Il accentue lentement la dernière phrase comme s’il voulait me rassurer.
Il pouffe, il ne se retient plus. Il me montre un sac et je sais déjà qu’il s’agit d’une de ses blagues. Puis il me dit Ciao et fuit comme un forcené.

Dans le sac je trouve un ordinateur portable avec des câbles visiblement arrachés violemment de leurs prises …
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dimanche 7 juin 2009

Crois-tu en Dieu ?

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Il vient de dîner. Il sort de la salle à manger et s’arrête au milieu de la rue. S’allume une cigarette et puis lentement s’approche de moi.
Je ne le connais pas. Je le vois pour la première fois.
Chacun de ses mouvements trahit la fatigue des nuits passées dans la rue. Vieille chemise chiffonnée et pantalon usé de couleur indescriptible contrastent avec les chaussures pointues dernier cri. Il y a quelque chose de troublant dans son aspect.
Il vient tout prêt de moi. L’odeur écœurant d’un corps délaissé m’enveloppe immédiatement. Je peux voir son visage à quelques centimètres du mien. Visage raboteux, brûlé par le soleil. Visage angoissé. Il évite mes yeux et regarde quelque part derrière moi. Mais je peux voir ses yeux rouges et moites.
Crois-tu en Dieu ? – me dit-il.
Et avant que je réagisse il fait un signe de tête et ajoute – Oui, si tu es là, tu dois croire en quelque Dieu.
Il se tourne brusquement et disparaît à l’angle de la rue.
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samedi 30 mai 2009

Cela ne m’arrivera jamais.

Sous les arcades de la place Garibaldi un homme assis par terre.

Sa silhouette se distingue à peine dans l'amas incolore de chiffons.

Immobile, tête basse, son regard se perd quelque part sur le bitume.

Autour de lui un désordre de vieilles et sales couvertures et un carton avec un écriteau :

« Moi aussi j’ai cru que cela ne m’arriverait jamais »

Aujourd’hui moi, demain toi.

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C’est samedi soir.
Je suis assis à côté de Jo et Mat qui font la manche dans une ruelle du Vieux Nice.
L’objectif - un kebab à deux.
C’est incommode d’être assis sur un trottoir et ça fait drôle de voir toutes ces chaussures qui défilent au fil du temps devant vos yeux.
Drôle de perspective.
Un autre niveau où les visages des passants sont lointains et leurs regards encore plus distants. Sur un trottoir, on est vraiment « loin, en bas ».
Le temps passe et le gobelet en plastique reste toujours vide.
Mat optimise – Bientôt ils vont sortir des restos, ça ira …
Une heure plus tard j’examine avec attention mes poches.
Je trouve quelques pièces jaunes et je les ajoute à notre piètre butin dans le gobelet.
Jo sourit et me dit lentement : Je ne te dis pas merci. Pas à toi. Entre nous on se remercie pas.
Aujourd’hui moi, demain toi…
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samedi 9 mai 2009

Un ticket.


Ils s’approchent lentement. Ils s’appuient l’un sur l’autre, bras dessus bras dessous. Ils marchent en hésitant, titubent, glissent et à quelques pas du Fourneau Économique, ils s’écroulent tous les deux.

Il est midi d’un jour d’hiver et ils sont bourrés, cuits ! Ils vocifèrent, beuglent, jurent en polonais. Ils sont tristement comiques. Le plus jeune se libère du bras de son camarade, se lève et s’engouffre dans la salle à manger. L’autre reste sur le trottoir en grommelant. Il fait peur aux passants qui tachent de le contourner de loin.

Un vieil homme aux traits maghrébins, un « habitué » du Fourneau Économique s’approche, s’arrête, hoche la tête. Un instant il semble hésiter, puis il cherche quelque chose dans ses poches. Il se penche sur le soûlard et lui tend un ticket, un bon pour un repas. Celui-ci hébété se lève d’un coup, essaye de se redresser et entre dans la salle.

Le vieux reste sur le trottoir. Il examine encore une fois ses poches comme s’il voulait se rassurer. Non, il n’en a pas d’autre. Il rit et il se dirige quand même vers l’intérieur…

lundi 27 avril 2009

Il m’a fait changer mon numéro


« Je suis sérieux ! Regard chef, ce n’est pas bidon ! »
Et il étale sur la table une liasse de certificats de ses compétences professionnelles. « Il me faut une adresse et un téléphone et je décrocherai un job. Tu vas voir, j’ai un métier respectable »

Richard insiste sur le téléphone qu’il lui faut impérativement. À côté, sa femme allemande assise sur leurs énormes sacs à dos ne comprend rien de notre conversation. Tous les deux, nous jetons un regard sur la femme silencieuse. Richard me tape légèrement la poitrine avec son poing et me dit doucement « Aide-moi ».

Je lui donne rendez-vous le surlendemain. Un instant après, je me rends compte que je n’ai plus mon portable. Je me tape nerveusement sur les poches et me rappelle des mouvements habiles et significatifs de Richard pendant notre entretien. Je décide quand même d’acheter un nouveau numéro de téléphone en espérant que je saurai négocier avec lui pour récupérer le mien.

Le surlendemain ils ne viennent pas au rendez-vous. « Naïf » - me dis-je. « Il m’a eu » ! J’essaie d’appeler mon portable volé et je tombe toujours sur mon répondeur automatique.

Le lendemain matin au petit déjeuner en feuilletant Nice Matin, je tombe sur la photo de … Richard. Sidéré, je lis « Terrible drame du tunnel de Villefranche-sur-Mer. Le couple de routards qui traversait le tunnel meurt happé par le train » Je regarde la photo de Richard qui semble me fixer et dire : « C’est pas bidon, chef ! »

jeudi 9 avril 2009

Fourmilière


Avenue Médecin, c’est un vrai chantier de la manche des femmes tziganes.

Chaque matin, à la même heure, les femmes accompagnées d’enfants se déploient avec la même rigueur, dans les mêmes endroits. Silencieuses, disciplinées, laborieuses … telles des fourmis dans une grande ville.


jeudi 2 avril 2009

Gentleman


Pendant longtemps, on n’a rien su de lui. Un quinquagénaire peut-être, bronzé, élancé. Il parle peu, presque rien. Le français n’est pas sa langue maternelle et il la connaît à peine.

Gentil et calme. Ses cheveux en désordre ne lui enlèvent rien de son air de gentleman. Ce qu’il porte sur lui trahit sa longue vie dans la rue mais ne le rend pas vulgaire pour autant. Il boit son thé avec un léger sourire et il prend son temps.

Il reste assis simplement un bon moment sans chercher aucun contact avec ceux qui viennent au Fourneau Économique, puis il se lève, remercie et prend la direction de la plage – sa demeure. Il s’appelle Stephen et ses origines sont écossaises. Son anglais est exquis et distingué. Quand il parle, on se croirait dans un salon de thé quelque part en Angleterre.

« In England, the tea-pot you have never wash, just rince » m’explique-t-il. Il me demande s’il y a quelque chose qui me manque de Pologne. A mon tour je lui pose la même question. Il devient songeur et il répond « My family… » Il se lève, me tend la main et dit « Next thursday, I hope ? »

Je sais que ce n’est pas souvent qu’il parle aux autres.

mercredi 25 mars 2009

Ce n’est pas le moment.


C’est le matin. Il fait froid. Ça ne donne pas envie de parler. Gérard du campement des Enfants de don Quichotte me demande seulement un thermos.

Le soir, j’amène le thermos avec du thé chaud. Je cherche Gérard. Le campement est en pleine orgie alcoolique. « Conard de merde ! Fous le camps ! Casse-toi, pédé ! »

Quelqu'un me pousse. Un autre me tire par la main. C’est Gérard. Il est bourré, lui aussi. Il prend le thermos et me conseille de partir – « Tu vois, c’est pas le moment »

lundi 16 mars 2009

Légionnaire demain


C’est la dernière soirée. Demain il doit se présenter au portail de la Légion Étrangère. C’est le dernier jogging sur la Promenade des Anglais au rythme d’une chanson dont Piotr chante le refrain à tue-tête – Il n’y a que des jours qu’on ne connaît pas encore qui comptent !

Il s’arrête brusquement. Je dois t’avouer quelque chose– me dit-il. Une mine embêtée, Piotr commence sa confession : Pendant ces quelques semaines où je logeais chez vous, je n’étais pas seul… j’ai trouvé un homme dans la rue et je le faisais entrer et sortir en cachette, à votre insu… chaque soir et matin. C’est un pauvre gars, tu sais…

Piotr a l’air de plus en plus gêné… J’ai passé quelques nuits dehors, parce que j’ai trouvé une fille malade dans la rue… et je ne pouvais pas la laisser comme ça… Elle dormait à ma place… Quelques jours plus tard, elle a trouvé quand même une piaule. Le bouilloire que tu m’a donnée je la lui ai donnée pour qu’elle puisse se faire du thé, tu sais elle a eu cette crève… Et puis…- avec l’air d’un chien battu il continue – ton polar et tes chaussures je les ai donnés à des mecs dans la rue, tu sais… à la Légion, j'en aurai pas besoin– s’excuse-t-il. Il y en avait d’autres que je faisais entrer à la maison, dans la nuit quand vous dormiez… ils prenaient seulement la douche. Tu sais, rien que ça… Je leur ai donné tes rasoirs et tout ça… Et puis aussi les lessives… ce n’était pas pour moi. Je n’ai pas de fringues, moi…

Il se gratte la tête et conclut – Voilà, je crois que c’est tout. J’ai voulu que tu le saches avant mon départ. Je sais, j’ai abusé de ta confiance… pardonne moi. J’espère que tu n’auras pas d’ennuis... ?

Il me regarde, l'air contrit, tel un pénitent penaud. J’ai tourné la tête, en faisant semblant de regarder les vagues de la mer. Courons– ai-je crié. Je n'ai pas voulu qu’il voit combien j’étais ému.

lundi 9 mars 2009

Légionnaire.


Piotr a 22 ans. Ses parents sont morts. Il n’a plus personne ni rien en Pologne. Il a tenté sa chance à Londres. La vie de plongeur dans les pubs londoniens ne l’a pas séduit.

Il a frappé à la porte de la Légion Etrangère. Il sait qu’il ne pourra jamais rentrer en Pologne. C’est une trahison de servir dans l’armée étrangère et il risque de finir ses jours en prison.

Il sait que personne ne le saura si un jour il saute sur une mine en Afghanistan. Il sait aussi que, dans ce cas, personne ne profitera de ce qu’il aura gagné.

Je n’ai personne. Il sourit timidement. Il ne parle pas français et n’a pas bien compris des ordres pendant un examen de recrutement. Il y doit repasser dans quelques mois. En attendant il dort sur la plage. Dans la journée, il lave les vitres des voitures aux feux rouges, s’achète des kebabs et s’entraîne sur la Promenade des Anglais. Le sort d’un gladiateur ne l’effraie pas.

lundi 2 mars 2009

Pourquoi ?


Amalia, une bénévole au Secours Catholique, avec une mine dubitative, pose sérieusement cette question :

« Mais pourquoi, enfin nous, la France, nous devons nous sentir un pays d’accueil, d’asile ? Pourquoi la misère en Tchétchénie, nous devons l’assumer chez nous ? »

mardi 24 février 2009

Plus besoin de vous !


Je croise dans la rue de France un jeune Roumain.

Il y a quelques mois, il venait régulièrement à l’accueil de jour du Secours Catholique. Sans travail, sans logement, sans papiers, sans perspectives – une galère. Un café et un biscuit avec des bénévoles étaient souvent son seul repas.

Maintenant je le trouve pétillant. Bonne mine, élégant, il me fait comprendre qu’il est pressé – le travail !

En me serrant la main il me glisse cette phrase « Dis aux autres (bénévoles) que grâce à vous je n’ai plus besoin de vous ! »

mardi 17 février 2009

Borys … « échec et mat »


Borys est toujours parmi les 10 meilleurs dans la ligue locale du jeu d’échecs. Calme, posé, lucide… un champion.

Il passe des heures à la bibliothèque municipale où il a accès à Internet et là, il met en échec ses rivaux sur les arènes internationales. Patiemment, il m’explique où sont mes failles qui lui permettent de me battre 5, parfois 6 fois d’affilée…

Il y a une chaleur et une bonté qui émanent de son visage toujours serein. Comme tout Russe, il adore le « tchai ». Au Resto du Cœur il boit plusieurs tasses de thé avec un plaisir non dissimulé. « Un croissant, un peu de thé – c’est la vie de qualité !» - déclame-t-il allègrement avec son mélodieux accent slave.

Il s’amuse en inventant des rimes à toute occasion. Borys est un mystère. Ils passent ses jours et ses nuits dans la rue depuis plusieurs années.

lundi 9 février 2009

Un matin, dans le vieux Nice


Le vieux Nice, un matin de décembre. Il pleut légèrement et ça caille.

Laurent, assis sur « son » bout de trottoir, une cannette de bière à la main, observe les passants. De temps en temps il lance un « bonjour » provocateur aux gens qui pressent le pas et qui ne s’aperçoivent même pas de sa présence. Cachés sous les parapluies, les gens s’esquivent et ont l’air de s’éviter mutuellement.

Un peu plus loin, quelqu’un peste et au même moment dans un bar à côté, une dame claque la porte, furieuse…

Laurent frémit de froid, serre plus fort la cannette et avec un sourire malicieux me dit : « Regarde-les, ils se font tous la gueule, et pourtant ils ne se connaissent pas… »

jeudi 5 février 2009

Kebab


Hubert est assis sur le trottoir, appuyé contre le mur d’un bâtiment, à deux pas d’un distributeur de billets de banque…

Devant lui une petite assiette en plastique avec quelques pièces jaunes. Il a l’air écrasé. Des traces de coups, du sang sur son visage. Il n’arrive pas à parler. Il crache, il cherche sa voix et me dit faiblement : « Je n’ai pas de force, achète-moi du kebab. »

Il me donne l’assiette avec de l’argent et me montre du doigt, de l’autre côté de la rue, une boutique maghrébine. L’homme qui travaille au « fast food kebab » veut savoir quelle sauce je préfère. Je fais un signe de tête en lui montrant Hubert. « C’est pour lui » !

Il regarde Hubert de loin, ajoute de la viande et ne veut pas prendre d’argent.
 

lundi 26 janvier 2009

Campement slave.


Le Jardin Albert Ier est devenu un vrai campement slave. Des Russes, des Polonais, des Lituaniens, des Ukrainiens et même un Tatar ! Depuis une semaine sur le gazon, dans une montagne impressionnante de chiffons... A quelques pas des hôtels de luxe, ils font un tableau surréaliste. Ils parlent russe, mais aussi polonais.

Méfiants au début, ils se laissent approcher quand ils découvrent mes origines polonaises. Ils m’offrent une cigarette, puis du whisky et quand je refuse, d’un air résigné ils tirent de leurs poches … des bonbons. Hospitalité slave oblige…

Une semaine plus tard ils ont quitté les lieux.

 

mardi 20 janvier 2009

Quelques jours « chez Akim »

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Akim campe régulièrement sur le cours Saleya. Son chien s’appelle Rasta. « Les enfants de don Quichotte, des enculés, ils ne veulent pas de chiens !» Il salue allègrement les passants. Semble très gêné quand on s’assoit à côté de lui pour échanger quelques mots. On dirait que, dans la rue, il préserve toujours son espace privé, son intimité. C’est « chez lui ». Autour de « chez lui », une marée de touristes.

Un peu plus loin Viyo, un Roumain, joue de l’accordéon. Il fait la manche.

Je passe un autre jour « chez Akim ». Il dort. Je laisse tout près de sa main quelques fruits. Viyo, comme chaque jour, est au boulot.

Le lendemain je vois Akim discuter allégrement avec un passant. Je me joins à la conversation. Viyo avec son accordéon nous accompagne.

Le jour suivant, je trouve la place « chez Akim » vide. « Il est mort » m’explique Viyo. Le soir, semble-t-il, Akim a bu une quantité importante d’alcool. Comme d’habitude. Le matin il ne s’est plus réveillé. Viyo continue à jouer ses joyeuses mélodies. Il le fait depuis 6 ans. C’est pour sa femme qui a subi déjà plusieurs opérations à l’hôpital …

vendredi 16 janvier 2009

Une messe » au Fourneau Economique…

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T’es un prêtre ? Tu fais des messes ?

Elle me regarde droit dans les yeux. Les messes c’est pour faire du bien aux gens, non ? Et les gens te donnent du pognon pour ça ?


Elle vient régulièrement manger au Fourneau Economique. Elle vit dans la rue. Elle s’excuse, elle n’est pas chrétienne et ses questions peuvent paraître bêtes.


Tu peux faire une messe si je te le demande ? Et elle tend un billet de 5€. Fais cette messe pour les prochains 5 gars qui viendront sans ticket. J’ai compris. Un bon de repas coûte 1€… J’étais à la porte. Je faisais entrer ces personnes sans ticket et j’avais, comme jamais, une forte sensation d’être en train de célébrer quelque chose de sacré…